Au début du mois, j’ai lu dans la presse que les troubles du comportement alimentaire touchent environ 600 000 des jeunes en France, dont 40 000 souffrent d’anorexie. Aujourd’hui, cela représente la 2ème cause de mortalité chez les 15-24 ans après les accidents de la route.
Ces chiffres plutôt impressionnants illustrent les articles publiés à propos d’un nouveau décret du ministère de la santé visant le mannequinat. Une réforme qui pourrait réguler le système de la mode et qui dénonce une fois de plus l’extrême maigreur sur les podiums.
Mais cette réforme renforce le préjugé mannequin/maigre/malade. Je vous propose donc de vous présenter ces mesures et de vous livrer le point de vue d’une « insideuse » ou d’une jeune femme au coeur du système.
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En France, la loi tente de s’imposer peu à peu dans le mannequinat
Le décret 20 de la « loi santé » de Marisol Touraine est entrée en vigueur le 5 mai dernier. Chaque mannequin doit désormais présenter un certificat médical daté de moins de 2 ans, pour pouvoir continuer à travailler légalement. Il doit attester de sa bonne santé globale, au regard de son IMC (indice de masse corporelle) et d’autres paramètres. Ceci est valable pour les Français mais aussi pour les mannequins originaires de l’Espace économique européen exerçant en France.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé si l’IMC (calculé en fonction du rapport taille/poids) est inférieur à 18,5, la personne est considérée trop maigre. Or parmi mes collègues, je connais des jeunes femmes en très bonne santé dont l’IMC est en dessous de la norme. Espérons que la loi ne les empêchera pas de continuer à travailler.
De plus, j’ai pu observer que certaines agences entretenaient des rapports privilégiés avec quelques professionnels de la santé. Une entente qui me laisse perplexe quant à l’efficacité de cette nouvelle mesure.
Dans la même lignée avec le décret 19, le ministère prévoit la mention « photographie retouchée », lorsque la silhouette du mannequin est virtuellement épaissie ou affinée. Cette obligation concerne tous les supports publicitaires (affichage, presse, internet) mais aussi les catalogues, lookbook et autres prospectus. Elle entrera en application à partir du 1er octobre 2017.
Sur le papier, encore une fois l’idée, ne semble pas mauvaise. Mais il ne sera pas précisé si le mannequin photographié est trop maigre, ou si quelques « rondeurs » lui ont été enlevées. Ce qui revient à mettre tous les mannequins dans le même panier ce qui me semble un peu discriminatoire pour le métier.
Surtout lorsque des magazines de potins comme Closer, Public et autre montrent régulièrement des photos brutes des mannequins avec leurs formes naturelles et de la cellulite. J’ai l’impression que la retouche des corps et du visage sur une publicité est un fait acquis dans l’inconscient collectif. Alors à quoi bon le préciser sur les supports?
En quoi cette mesure ferait évoluer les mentalités ? Est-ce que la mention « fumer tue » inscrite sur les paquets de cigarette empêche de fumer ? Je n’en suis pas convaincue. Ces décrets présentent sûrement de belles idées, mais dans la réalité je doute qu’une réelle évolution fasse diminuer les troubles du comportement alimentaire de certains mannequins et les chiffres relevés en France. C’est un système qu’il faut faire évoluer et non cloisonner.
La presse et les organismes insistent sur le cliché mannequin/trouble du comportement alimentaire
En février dernier, « Runway research » a réalisé une étude auprès de 85 mannequins durant la Fashion Week de New York en prenant en compte leurs IMC (indices de masse corporelle) : 85 % d’entre elles étaient considérées en dessous des normes de poids.
Parmi ces 85%:
- 75% étaient au régime lors de l’enquête
- 56% sautent des repas
- 52% sont adeptes du fasting (régime alimentaire qui consiste à alterner les périodes de jeunes et celles d’alimentation)
Ces chiffres pointent clairement du doigt l’attitude des mannequins. Croyez vous qu’il soit possible de déjeuner lorsque vous avez un marathon de casting dans tout New York, Londres, Milan ou Paris pour la Fashion week ? Surtout lorsque pour chaque casting vous avez une tranche horaire définie, que chaque agence présente entre trente et cinquante mannequins, ce qui crée une attente interminable à chaque rendez-vous ?
Croyez vous qu’il soit possible de prévoir un vrai repas lorsque vous avez minimum 5 défilés dans la journée à différents endroits d’une ville ? Surtout lorsque vous êtes maquillés et coiffés pendant plus d’une heure pour chaque show et que vous devez vous démaquiller et enlever la coiffure pour le show suivant, répéter, essayer les vêtements une dernière fois pour des réglages de dernière minute, …
J’ai été commerciale et j’ai travaillé dans la communication. Lors de grosses périodes de vente, lorsque les rendez-vous s’enchainent ou lorsque des dossiers importants sont à rendre dans des délais improbables, certains collègues sautaient les repas. Ce malgré des régimes pour rentrer dans leurs maillots de bain à l’approche de l’été.
Alors oui les chiffres sont peut-être plus importants dans le mannequinat mais ils correspondent à une période très intense du marché. Sont-ils représentatifs de la réalité et de l’attitude des mannequins en dehors de ces périodes ? Je n’en suis pas convaincue.
Des conditions de travail contradictoires
Critiquer l’attitude ou les troubles alimentaires des mannequins, c’est très facile. Mais le système n’aide vraiment pas à s’y retrouver. Ce métier, contrairement à ce qu’on peut penser, demande beaucoup d’énergie physique. Autrement dit, un mannequin ne tiendra pas longtemps en grignotant des graines et en sautant des repas, ce n’est pas une machine.
Passer la journée debout (en talons pour les femmes) à faire des allées et venues en enfilant des vêtements le plus vite possible pour satisfaire le rendement d’un site de commerce en ligne ou d’un showroom, n’est pas chose facile. Ajoutez y un jeu d’acteur pour et du mouvement, avec des expressions qui soient assez sincères pour que le client souhaite acheter chaque pièce présentée. En fin de journée, vous êtes dans le même état que si vous aviez couru un marathon.
Alors lorsque la pause déjeuner est à partir de 15h et que vous êtes là depuis 8h du matin, il faut avoir de bonnes réserves. Mais les mannequins ne mangent presque rien de toute manière, donc une salade et une pomme suffisent. Ou alors un snack vite fait, puis la journée continue avec la même intensité jusqu’à 18h passé (jusqu’aux horaires de nuit dans certains cas).
Parlons également des mannequins des défilés qui sont au régime depuis plusieurs mois pour rentrer dans une taille 32 ou 34. On leur propose des pizzas pour déjeuner et des « cochonneries » comme des sodas, bonbons, gâteaux sur les catering/buffets. Lorsque certains craquent puis culpabilisent et se font vomir ensuite, sont-ils les seuls responsables de leurs actes?
Les mannequins ne sont pas les seuls à blâmer
Ces faits ne sont pas généraux, mais je pense que le système qui entoure ce métier peut entraîner ce type de comportement. Pourquoi certaines marques agissent comme tel ? Par ce que le milieu se voile là face en se basant sur un cliché: les mannequins doivent leur mensuration à dame nature.
Mais nous sommes des êtres humains dont le code génétique est équipé de certaines qualités, mais qui devons entretenir notre corps comme des athlètes de haut niveau pour continuer à exercer ce métier. Comme chez tout le monde, les bourrelets sont plus résistants avec l’âge et les excès se payent plus cher. Donc les snacks et fastfood sur les jobs n’aident pas vraiment, même s’il est vrai que de proposer un déjeuner plus équilibré représente un coût.
Il y a peut-être environ 10% des mannequins qui, grâce à un métabolisme de dingue peuvent tout manger sans prendre 1cm. Peut être 10% qui n’ont pas besoin de se préoccuper de leurs centimètres en trop car leur charisme suffit à charmer l’auditoire. Mais les 80% restant se doivent de travailler un minimum pour entretenir leur physique.
Une bonne hygiène de vie est indispensable pour faire ce métier, avoir une belle peau, les dents blanches, … Alors oui, certaines marques pensent tellement à leurs marges qu’il se moquent royalement des conditions de travail. D’autres encore se voilent la face ou ne remarquent même pas que leur attitude est déplacée. De toute manière, il y a un tel turnover chez les mannequins qu’il y aura toujours quelqu’un pour remplacer un autre.
Que faire lorsque le système ne semble pas fonctionner?
L’Etat a trouvé la solution : blâmer les mannequins et rajouter des étiquettes sur un milieu déjà affublé de clichés. Honnêtement, si vous avez lu cet article, vous conviendrez que ces décrets se rapprochent plus de la « poudre de perlinpinpin » que de réelles solutions.
Ce qu’il faudrait, c’est faire évoluer les critères actuels qui définissent la beauté. Un challenge compliqué dans une société où le nombre de like valide ce qui est beau. Mais c’est encore un autre sujet même s’il est étroitement lié à cet article. La mode va t’elle un jour se réveiller et prendre ses responsabilités en terme d’étique ? Tant que l’économie règnera en maître, j’en doute.
Une solution semblerait pourtant être tout indiquée pour faire évoluer les mentalités: l’éducation.
- Dans les collèges et les lycées auprès des adolescents mal dans leur peau;
- Dans les agences de mannequin pour apprendre aux new face à soigner leur hygiène de vie;
- Dans le discours des médias, qui martèlent le même message sur les mannequins à chaque fashion week plutôt que de montrer certaines évolutions
- Au sein de certaines marques, pour rappeler à leurs employés qu’ils travaillent avec des êtres humains et non des machines (et je ne parle pas seulement de mannequinat ici!)
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Ce sera tout pour aujourd’hui, nous nous retrouverons la semaine prochaine pour un nouvel article!
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