Le mois dernier, une de mes agences m’a demandé de passer une visite médicale auprès d’un organisme spécialisé : le CMB Santé au travail. Quoi de neuf depuis la mise en application de la « loi santé » Marisol Touraine ? Les mannequins filiformes sont-ils toujours présents sur les podiums Parisiens ? Oui, mais attention plus de taille 32 – ironie. Qu’en est-il de l’application des décrets 19 et 20 depuis le 5 mai dernier ? La loi se serait-elle durcie ? J’ai voulu mener ma petite enquête…
◊◊◊
Qu’est ce que ce CMB ?
Le CMB est un service interentreprises de santé du travail subordonné du ministère du travail. Cette association à but non lucratif dépend également du ministère de la santé et du ministère de la culture. Elle intervient dans de nombreux secteurs comme les professions financières, l’hôtellerie, la restauration, les professions judiciaires, …
Depuis la signature d’un accord le 29 juin 2009, le CMB est mandaté pour suivre les intermittents du spectacle en France. C’est pour cette aptitude spécifique qu’il a été choisi par l’Etat afin de s’occuper du secteur du mannequinât.
Le statut du mannequin en France répond en effet à une réglementation particulière assez proche de certains intermittent, employés en contrats courts. Un sujet qui sera traité ultérieurement. Pour revenir sur cet article, depuis janvier 2018, le CMB se fait connaître auprès des agences françaises pour rencontrer les mannequins.
Une visite médicale cadrée
Une évolution concrète était souhaitée et ils l’ont fait ! Le CMB Santé est un service neutre, les certificats médicaux obligatoires pour exercer le métier de mannequin en France ne risquent plus d’être bidons. Excepté en période de Fashion Week pour les mannequins étrangers.
Pour ceux qui résident fiscalement en France, aucune crainte à avoir pour la traduction. L’association a l’habitude de recevoir des étrangers puisque les intermittents du spectacle étrangers passent également la visite pour pouvoir travailler en France.
Une visite plus complète que chez le médecin traitant
Tout mannequin en agence doit effectuer cette prérogative dans les 3 mois suivant la signature de son premier contrat de travail. L’agence doit contacter le CMB Santé, payer une cotisation annuelle et organiser les rendez-vous des mannequins. En d’autres termes, le mannequin n’avance pas de frais, tout est pris en charge par l’agence.
L’examen se déroule en 5 temps et dure une bonne heure :
- Un premier entretien avec la secrétaire médicale
- Un examen de la vue par visiotest ou ergovision : avec une machine qui nous montre des maisons et la lecture de caractères plus ou moins gros
- Un examen de l’ouïe par audiométrie : un casque nous envoie des sons, il suffit de pousser un bouton lorsqu’on entend le son (non obligatoire)
- Un second entretien avec le docteur suivi de la consultation
- Une participation à une étude interne sur le mannequinât (facultative mais désormais nominative, je reviendrai dessus lors de la parution des résultats)
La consultation avec le médecin est primordiale. Contrairement aux idées reçues, l’IMC est calculé pendant l’examen mais le docteur ne se base pas uniquement sur ce nombre pour délivrer les précieux documents. D’une part parce que certains mannequins essayent de tricher sur leur poids en buvant 2 litres d’eau avant leur rendez-vous, d’autre part par ce que le but de cet examen n’est pas de nous empêcher d’exercer.
Que se passe t-il si l’état physique ou moral du mannequin semble préoccupant ?
En fonction des observations tension, poids, état physique général et état psychologique, le médecin choisi de délivrer un certificat médical valable de 3 mois à 1 an. Si 3 mois sont préconisés, c’est que le docteur estime un suivi nécessaire. Malheureusement ce n’est pas un mythe, certains mannequins peuvent être mal en point : amaigrissement, moral assez bas et/ou faible vitalité.
La demande de visites plus régulières, va aider le médecin à diagnostiquer un trouble du comportement alimentaire et/ou un trouble psychologique. Si son état représente une urgence sanitaire, des examens peuvent être prescrits. Dans ce cas le mannequin doit revenir le lendemain ou la semaine suivante avec les résultats. Mais dans la majorité des cas préoccupant, l’accompagnement est généralement mensuel et surtout gratuit.
Ce suivi apporte une première aide, sonne l’alarme et offre des outils aux mannequins pour sortir de l’impasse. Ils seront ensuite orientés vers des professionnels spécialisés comme des assistantes sociales ou des psychologues du travail, qui les aideront à reprendre pied. L’agence sera informée de la périodicité des visites mais le secret médical protège le motif du ou des rendez-vous programmés.
Est-il possible de passer outre cette visite ?
L’examen et les documents délivrés sont désormais obligatoires pour exercer en France. Le certificat médical valable de 3 mois à 1 an répond au règlement du ministère de la santé, tandis que l’attestation de suivi valable 1 an, relève du ministère du travail.
Cela implique certaines sanctions en cas de contrôle :
- Pour l’agence : une amende de 1 500€ pour la première infraction (art R4745-1) du code du travail. Si elle récidive dans les 3 ans, 4 mois de prison, une seconde amende allant jusqu’à 3 750€ et la publication du jugement (art L4745-1).
- Pour le mannequin c’est un devoir lié à l’employeur. Si le mannequin ne se présente pas au rendez-vous, l’agence est responsable. En d’autres termes, pour éviter les litiges avec les bookeurs et travailler en agence, mieux vaut prendre le temps de se rendre à la convocation du CMB Santé.
En cas d’accident, l’employeur est tenu d’envoyer une déclaration d’accident du travail à la caisse d’assurance maladie, dans les 48h qui suivent l’accident dès qu’il en prend connaissance. Si la déclaration n’est pas faite, il est passible d’une amende et la caisse peut lui demander de prendre en charge les frais afférents à l’événement.
Aujourd’hui, les agences ne peuvent déclarer que les accidents survenus lors de booking confirmés par les mannequins. Si un incident a lieu dans le cadre d’un casting, c’est l’assurance personnelle du mannequin qu’il faut prévenir.
Quels sont les sujets traités par l’étude interne menée par le CMB ?
En complément des visites médicales, le CMB Santé mène des actions de prévention, d’information et de sensibilisation auprès des employeurs et des salariés. Dans l’optique de mieux comprendre le milieu et les habitudes des mannequins, le centre a mis en place une étude qui repose sur un questionnaire remis par le secrétariat à l’arrivé.
Les questions sont essentiellement ciblées sur les troubles du comportement alimentaire, sur l’estime de soi et sur la consommation de drogues. Ce qui peut paraître très cliché, mais les 3 sujets peuvent être intimement liés. Le questionnaire est désormais obligatoire, il n’est plus anonyme. Reste à savoir combien vont jouer le jeu de l’honnêteté.
A terme, les résultats seront communiqués et débattus dans des conventions médicales ainsi qu’avec l’Etat pour mettre en place des dispositifs de prévention, de soutien et qui sait, peut être des sanctions. J’ai toutefois quelques doutes quant à la sincérité de mes collègues, le milieu est très fort pour se voiler la face.
D’autant que certains résultats sont parfois sciemment survolés par le milieu concerné. Ce fut le cas d’une étude auprès des intermittents concernant les actrices de plus de 50 ans, qui a mis en lumière un problème mais n’a pas rencontré de réelle solution pour le moment.
Les limites de cette initiative
Le CMB Santé ne dispose pas de la capacité nécessaire pour contrôler tous les mannequins durant les Fashion Week. Son action se limite aux mannequins résidants fiscalement en France.
Malheureusement, c’est durant ces 6 semaines de défilés annuels qu’on retrouve le plus de mannequins en difficulté. Les agences accueillent 80% d’étrangers durant cette période, dont une majorité de new face. Impossible de tous les recevoir et de réaliser un suivis de ces jeunes mannequins qui ne reviendront peut être pas la saison prochaine.
Que penser de cette petite évolution du système ?
Message personnel aux mannequins, de tout sexe, de toute ethnie et de toute corpulence : demandez à votre agence de prendre rendez-vous pour votre visite.
À l’étranger, peu de mannequins sont légalement protégés du système. Il suffit de regarder les défilés pour ressentir la détresse, l’état de fatigue physique ou mental de certains. Pourtant ce sont les premiers qui ne bénéficieront pas de soutien et qui seront autorisés à travailler sur présentation d’un simple certificat médical non contrôlé.
Malheureusement, la profession souffre de déshumanisation. Le mannequin est un cintre, un visage, un corps, une main et doit être parfait pour vendre le luxe, la beauté, la jeunesse, la joie. Je ne compte plus le nombre de fois où je n’ai pas été assez jeune, où mes photos n’ont pas été assez bien, où j’étais trop grosse, trop musclée, même parfois pas assez en chair, avec des mains trop grandes, des doigts pas assez fins, des lèvres trop abîmées, une peau trop pâle ou trop bronzée… Je le sais, mon corps et mon énergie forment un support produit qui doit générer à terme de la visibilité et du profit.
Aussi, en plus d’un devoir, passer cette visite pourrait être un acte militant. Par ce que c’est une manière de mettre les agences devant le fait accompli. Même si certaines agences commerciales ne se sentent pas concernées. Leurs quasi absence sur les podiums ne les empêchent pas de soumettre les mannequins aux règles du centimètre qui légifère l’industrie.
Il est vrai qu’en rendant la visite médicale obligatoire avec un certificat valable et une attestation de suivi individuel valables 1 an (contre 5 ans max pour les intermittents), la question d’une discrimination basée sur des préjugés peut se poser. Mais si la loi fait un pas vers nous, faire un pas vers elle aidera peut être notre statut dans son évolution.
◊◊◊
A très vite pour un prochain article, n’hésitez pas à réagir en commentaire ou à m’écrire si vous avez des questions.
Article très intéressant… très instructif. Merci 😀
J’aimeAimé par 1 personne